THORBJORN RISAGER &THE BLACK TORNADO: Too Many Roads



Tracklist:
01. If You Wanna Leave
02. Too Many Roads
03. China Gate
04. Paradise
05. Drowning
06. Backseat Driver
07. Through the Tears
08. High Rolling
09. Long Forgotten Track
10. Red Hot & Blue
11. Rich Man
12. Play On

Personnal :

Thorbjørn Risager : vocals, guitars, Dobro

Emil Balsgaard : piano, organ, Würlitzer

Peter Skjerning : guitars

Kasper Wagner : alto, tenor & baritone saxes, clarinet

Hans Nybo : tenor sax

Peter W. Kehl : trumpet, flugelhorn, trombone sousaphone

Søren Bøjgaard : bass

Martin Seidelin : drums, percussion

Lea Thorlann & Pia Trojgaard : background vocals

Cela fait maintenant plus d'une décennie que le Danois Thorbjørn Risager parcourt les routes à raison d'une bonne centaine de dates par an et enregistre des albums avec un groupe quasiment inchangé, choisi autant pour les qualités professionnelles que pour les qualités humaines de ses musiciens, et forcément, quand en plus ces musiciens sont doués et qu'ils ont un leader à la fois charismatique, volontaire et créatif, cela finit par payer. A un moment, le talent explose. Cet album remarquable en tous points en est l'éclatante illustration.

Thorbjørn Risager et son groupe ne perdent pas de temps en futilités et l'auditeur subit d'emblée l'impact du premier titre : rythmique crunchy et carrée, voix rauque et puissante, parfaitement posée, claquements de mains, chœurs féminins et riffs des vents qui poussent, solo de sax, slide insinuante, le boogie puissant tourne bien rond et nous entraîne dans la vision danoise du blues. On se surprend à taper du pied, c'est propre, net, sans bavure et ça swingue ! Euh, c'est vraiment du blues, ce truc ? Le deuxième titre nous rassure sur ce point, blues lancinant, avec riff glissant au Dobro, en jouant les derviches tourneurs. On pourrait décoller mais Thorbjørn Risager en a décidé autrement et nous assène de sa voix grave et si bien timbrée « China Gate », seule reprise du disque, un titre de Nat King Cole issu du film du même nom, revisité ici sous forme de blues lent et crépusculaire de toute beauté, très loin de l'ambiance asiatique de l'original, avec un orgue en tonalité flûte qui vient soutenir des arpèges acoustiques joués au Dobro, avant un court solo final de slide. Hiver scandinave...
Au début du titre suivant on se dit qu'on va partir vers du blues ethnique en provenance du delta, mais c'est avant que la rythmique n'entre en scène de manière chaloupée avec une présence insistante des percussions et nous invite à aller se balader du côté du bayou louisianais. Les souffleux déboulent, appuyant le propos et se chargeant même du pont. Remarquez, en plein marais, un pont n'est pas inutile ! Mais bon ne nous égarons pas, les alligators guettent ! D'ailleurs il est temps de prendre le bateau et d'aller visiter les îles, histoire de montrer tout ce que le reggae doit au blues, avec un orgue qui arrive presque à sonner comme un steel band. Les vents se la jouent classieuse et grand orchestre, la guitare solo donne dans le son clair et la voix grave de Thorbjørn vire au crooner en évoquant la fameuse et unique collaboration de Tom Waits avec John Hammond. Du grand art ! C'est bien joli tout ça, relax ambiance vacances, mais le quotidien, c'est pas ça, et après une intro bien lourde, retour à un blues tendu, qui pose une atmosphère sombre illustrant a priori la routine d'un chauffeur de taxi, sur une rythmique où se distingue une basse percussive qui incite à garder le rythme : la journée n'est pas finie, faut y aller ! Mais en fait, le titre est plus subtil qu'il n'y paraît : la parabole parle en fait de tout autre chose, et nous raconte plutôt le poids des aventures passées, des expériences, des bonnes et mauvaises influences. Peter Skjerning, l'auteur de ce titre, a décidément un beau brin de plume et le groupe recèle bien des talents. Le mixage très précis, très fin, permet à ce titre de garder tout son swing, mais ça n'empêchera pas le pauvre cœur de Thorbjørn de se briser en mille morceaux sur le titre suivant aux accents soul des années 60 avec un solo de guitare et des vents qui rappellent BB King. Encore un très beau titre, nostalgique, parfaitement réalisé, mais le réveil a sonné et un riff de guitare au son brut à la Stones façon « Love you live », riche en contretemps, nous propulse dans un blues rock puissant. Martin Seidelin se distingue, les vents et les chœurs féminins jouent leur rôle dynamisant en obligeant le groupe à garder le pied au plancher, la machine se met à tourner furieusement, comme si un gros V8 glougloutant et gorgé de couple se chargeait de l'envoyer sur orbite, relancée par des soli de guitare incisifs. La voix rugueuse et puissante du leader percute nos tympans, et là comment résister ? Un hit en puissance ! La poussée de fièvre se calme aussitôt : on repart sur les chemins, la route sans fin se déroule dans une ambiance éthérée avec guitare trémolo à la Chris Rea ou à la J.J. Cale, les spectres et fantômes viennent nous hanter portés par les claviers soufflant le vent des immenses plaines. Et à l'arrivée retour dans une autre déprime, version féminine, sur fond de rhythm 'n blues actif, pourvu d'une jolie rondeur qui le fait tourner comme une horloge, avec en prime un très beau second solo de guitare.

Eclectique, le Black Tornado est aussi capable de nous emmener dans un jazz blues façon Swing Dixieland, soutenu comme il se doit par des vents puissants avec des sonorités cuivrées et par un piano bastringue déjanté. Musicalement, on n'est pas loin des Aristochats, mais le propos exprime les états d'âme d'un chanteur et file au passage quelques bons coups de pattes aux requins profitant de la crise financière. Du sur mesure écrit par le leader ? Non point : ce titre est dû à Martin Seidelin ! L'album se termine par un boogie endiablé à la Jerry Lee Lewis qui déboule à toute allure, offrant une occasion supplémentaire à Emil Balsgaard de se distinguer, avant qu'au milieu du titre tout le groupe ne le rejoigne dans une ambiance festive pour un tourbillon sonore pourtant parfaitement maîtrisé. “How awesome it is to play the blues when you love the blues”, comme ils disent !
La chose est entendue : ne vous laissez pas influencer par ce nom à aller pêcher la sirène dans le port de Copenhague et précipitez vous sur ce superbe album à la pochette magnifique, mettant en évidence un réel travail artistique d'au moins... cinquante nuances de gris, remarquablement auto-produit par le groupe, avec un mixage absolument parfait qui arrive à préserver à la fois la richesse instrumentale d'un octuor soutenu par deux choristes en gardant une netteté et une subtilité impressionnantes dans le son, au point où on peut parfaitement saisir toute la finesse des instrumentistes, et ils n'en manquent pas, sur onze remarquables compositions originales. Vous pourrez ainsi découvrir un grand, un immense chanteur-guitariste capable d'écrire comme ici neuf titres de haute volée et de survoler avec éclat non seulement le blues, mais aussi la soul, le rythm'n blues, le jazz, le boogie, le rock'n roll… Bref, allez découvrir la voix grave de Thorbjørn Risager et le formidable groupe qui l'accompagne, vous ne serez pas déçus.
Y. Philippot-Degand